Lancement de Quadriga et exploitation de la plateforme
« J’ai choisi Quadriga plutôt que toutes les autres grandes places boursières parce qu’il n’y a pas vraiment de choix pour les dollars canadiens... Quadriga est la plus grande au Canada. Je veux dire, qu’est-ce qui peut mal tourner au Canada? »
Exploitation de la plateforme
Pour devenir client de Quadriga, il fallait ouvrir un compte sur le site Web de Quadriga et utiliser l’une des nombreuses options permettant d’approvisionner le compte avec de la monnaie fiduciaire ou des cryptoactifs. Un client qui souhaitait faire un dépôt sur son compte ou retirer des fonds de son compte en monnaie fiduciaire devait présenter à Quadriga une copie d’une pièce d’identité pour des fins de vérification. Une fois le compte créé, le client pouvait commencer à négocier des monnaies fiduciaires et des cryptoactifs avec d’autres clients par l’intermédiaire du site Web de Quadriga. L’interface de la plateforme ne fournissait pas aux clients le nom des contreparties de leurs transactions.
Quadriga a débuté ses activités comme une plateforme de négociation de monnaies fiduciaires et de Bitcoin, qui représentait, à l’époque, la principale valeur active en cryptomonnaie. Vers la fin, les cryptoactifs comme l’Ether (Ethereum), l’Ethereum Classic, le Litecoin et plusieurs dérivés du Bitcoin (Bitcoin Cash, Gold et SV) avaient été ajoutés, mais le Bitcoin demeurait l’actif le plus important de la plateforme. Pendant la durée de vie de la plateforme, plus de 82 % des volumes en cryptomonnaie ou en monnaie fiduciaire échangés sur la plateforme de Quadriga étaient en Bitcoin et en Ether. Toutes les paires de transactions de cryptomonnaie à cryptomonnaie impliquaient le Bitcoin, car la plateforme ne proposait pas de transactions de cryptomonnaie à cryptomonnaie n’impliquant pas le Bitcoin.
Comme pour de nombreuses autres plateformes de négociation de cryptoactifs, les transactions au sein de la plateforme Quadriga n’étaient pas enregistrées sur la chaîne de blocs. Un financement en cryptomonnaie au portefeuille d’un client ou un retrait de ce portefeuille était enregistré dans la chaîne de blocs, mais les transactions de client à client sur la plateforme Quadriga étaient uniquement enregistrées dans les registres internes de Quadriga – que seuls certains employés de Quadriga pouvaient consulter.
Les clients dépendaient donc de Quadriga pour l’exécution de leurs demandes de retrait et la livraison de leurs avoirs.
Garde des actifs
Les actifs reflétés dans les soldes des comptes des clients de Quadriga étaient détenus par Quadriga, et non par ses clients. Lorsqu’un client finançait un compte en transférant des actifs à Quadriga, il n’avait plus de contrôle sur ces derniers. Le client n’avait plus qu’une créance à l’encontre de Quadriga pour la valeur des actifs transférés. Le client pouvait alors négocier cette créance contre les créances d’autres clients. Ainsi, les clients de Quadriga n’achetaient et ne vendaient pas réellement des actifs en cryptomonnaie entre eux – ils achetaient et vendaient des droits pour recevoir des actifs en cryptomonnaie ou en monnaie fiduciaire de Quadriga.
Par exemple, si le client A achetait des bitcoins au client B en échange de dollars canadiens, les bitcoins n’étaient pas déposés au portefeuille du client A et les dollars canadiens n’étaient pas transférés au client B. Leurs comptes Quadriga étaient plutôt ajustés pour refléter leurs droits de réclamer ces actifs à Quadriga. Afin d’obtenir ces actifs, un client devait soumettre une demande de retrait et la demande serait réglée si et quand Quadriga livrait les actifs au client. Les clients dépendaient donc de Quadriga pour l’exécution de leurs demandes de retrait et la livraison de leurs avoirs. Si Quadriga ne pouvait pas honorer une demande de retrait, le client était malchanceux : il n’avait aucun moyen de retirer ses avoirs indépendamment de Quadriga.
Selon notre évaluation, le modèle de garde selon lequel Quadriga conservait la garde, le contrôle et la possession des actifs en cryptomonnaie de ses clients et ne livrait les actifs aux clients qu’après une demande de retrait signifiait que les droits des clients sur les actifs en cryptomonnaie détenus par Quadriga constituaient des titres ou des dérivés. Pour faire cette évaluation, nous nous sommes appuyés sur l’avis 21-327 du personnel des ACVM : Indications sur l’application de la législation en valeurs mobilières aux entités facilitant la négociation de cryptoactifs (l’avis 21-327), qui a été publié par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) en janvier 2020. Quadriga n’estimait pas que son activité portait sur les valeurs mobilières et elle ne s’est enregistrée auprès d’aucun organisme de réglementation des valeurs mobilières.
Comme les actifs des clients étaient entre les mains de Quadriga, les clients dépendaient de Quadriga pour la sauvegarde de leurs actifs. Dans cette perspective, Quadriga s’est présentée comme fiable, affirmant sur son site Web que « tous les fonds du système [Quadriga] sont très liquides et peuvent être retirés à tout moment ». En réalité, le modèle et les pratiques de garde de Quadriga étaient imparfaits et exposaient les actifs des clients à un risque important de perte, de vol et d’utilisation abusive.
Le modèle et les pratiques de garde de Quadriga étaient imparfaits.
Garde des cryptoactifs
Quadriga ne stockait pas les actifs en cryptomonnaie d’un client spécifiquement pour ce client. En effet, si un client déposait sur son compte un actif en cryptomonnaie, cet actif faisait partie d’un bassin général d’actifs. En d’autres termes, même si le solde du compte d’un client indiquait un bitcoin, cela ne signifiait pas que Quadriga stockait ce bitcoin pour ce seul client, ni même que Quadriga détenait un bitcoin pour étayer cette entrée de compte.
Le site Web de Quadriga promettait à ses clients que la sécurité était sa « priorité absolue » et leur assurait qu’il utilisait un « stockage hors ligne pour la majorité des bitcoins de [son] système ». Des déclarations similaires avaient été faites directement aux clients sur Reddit, où on disait aux clients que Quadriga utilisait « la méthode éprouvée de stockage hors ligne de 99 % des cryptoactifs ». En 2018, M. Cotten affirmait dans un courriel que « la cryptomonnaie des clients était conservée dans des portefeuilles multisignatures sécurisés et hors ligne ». D’après notre évaluation, ces déclarations étaient fausses et trompeuses. La majorité des actifs en cryptomonnaie n’étaient pas conservés en stockage hors ligne. Au contraire, Quadriga utilisait principalement un mélange de portefeuilles chauds et d’autres plateformes d’échanges d’actifs en cryptomonnaie pour stocker les actifs des clients. Beaucoup de ces actifs n’étaient pas du tout stockés parce que M. Cotten épuisait régulièrement les actifs des clients, comme nous le verrons en détail plus loin dans le présent rapport.
Stockage hors ligne et portefeuilles multisignatures
Il existe différentes formes de portefeuilles d’actifs en cryptomonnaie avec une variété de caractéristiques et de cas d’application. Les portefeuilles d’actifs en cryptomonnaie sont sécurisés grâce à une « clé privée », qui correspond à un mot de passe sophistiqué généré par un ordinateur, requis par toute personne souhaitant accéder aux actifs détenus dans le portefeuille.
Un portefeuille d’actifs en cryptomonnaie de base génère une clé privée unique pour accéder aux actifs détenus dans le portefeuille. En revanche, un portefeuille multisignature possède plus d’une clé privée. Pour accéder aux avoirs détenus dans le portefeuille, plusieurs clés privées sont nécessaires. Ces clés privées peuvent être remises à différentes personnes afin de garantir qu’aucune personne n’exerce un contrôle total sur les avoirs contenus dans le portefeuille ou que les avoirs ne puissent être déplacés à l’insu d’autres personnes.
Le stockage hors ligne est essentiellement un portefeuille d’actifs en cryptomonnaie hors ligne. Comme les portefeuilles hors ligne ne sont pas connectés à Internet, ils sont considérés comme moins exposés au vol que les autres méthodes de stockage. Le stockage hors ligne implique généralement un dispositif électronique dédié, comme une clé USB, qui n’est pas connectée à Internet, mais il peut également prendre la forme de portefeuilles en papier.
Ces déclarations étaient fausses et trompeuses.
La majorité des actifs en cryptomonnaie n’étaient pas conservés en stockage hors ligne.
Dès la création de Quadriga, M. Cotten a joué un rôle important dans la gestion des actifs en cryptomonnaie confiés à Quadriga. En 2016, il est devenu la seule personne à pouvoir contrôler ces actifs. Les données probantes démontrent que M. Cotten a régulièrement déplacé les actifs en cryptomonnaie des clients de la plateforme Quadriga vers des comptes qu’il avait ouverts sur d’autres plateformes de négociation de cryptoactifs. À un moment donné, M. Cotten a dit à un sous-traitant de Quadriga qu’une certaine adresse de portefeuille était une adresse de stockage hors ligne de Quadriga, alors qu’il s’agissait en fait d’une adresse de dépôt pour le compte de M. Cotten sur une autre plateforme de négociation de cryptoactifs. Nous n’avons trouvé aucune indication que Quadriga ait divulgué à ses clients cette pratique de transfert d’actifs vers des plateformes externes, de sorte que les clients ont été soumis, sans le savoir, à des risques associés à ces autres plateformes. Cela signifie que les clients comptaient non seulement sur les pratiques de Quadriga en matière de sécurité et de stockage, mais aussi sur celles de toutes les autres plateformes sur lesquelles M. Cotten stockait leurs actifs.
M. Cotten a dit à un sous-traitant de Quadriga qu’une certaine adresse de portefeuille était une adresse de stockage hors ligne de Quadriga, alors qu’il s’agissait en fait d’une adresse de dépôt pour le compte de M. Cotten sur une autre plateforme de négociation de cryptoactifs.
M. Cotten négociait également avec des actifs de clients sur ces plateformes externes, ce qui a exposé Quadriga à un risque de négociation supplémentaire et non divulgué. Nous avons pu obtenir des relevés des transactions de M. Cotten à partir de trois de ces plateformes externes et nous avons déterminé qu’il avait perdu 28 millions de dollars en actifs de clients négociant sur ces plateformes. Les preuves indiquent qu’il a probablement négocié sur des plateformes externes additionnelles, mais nous n’avons pas pu obtenir suffisamment d’informations pour quantifier l’activité de M. Cotten sur ces autres plateformes. Selon notre évaluation, les transactions non divulguées et non autorisées de M. Cotten avec les fonds des clients étaient frauduleuses.
Quadriga et M. Cotten ont laissé les clients dans l’ombre quant aux pratiques de la société en matière de garde et de stockage de leurs actifs. En effet, les clients ne pouvaient pas eux-mêmes confirmer que Quadriga disposait des actifs nécessaires pour soutenir leurs créances ni surveiller la manière dont Quadriga gérait les actifs en cryptomonnaie de ses clients. Comme indiqué précédemment, les transactions au sein de la plateforme Quadriga n’étaient pas enregistrées sur la chaîne de blocs et la plateforme elle-même fournissait aux clients des informations limitées. Alors que les transferts d’actifs en cryptomonnaie de Quadriga vers d’autres plateformes étaient enregistrés sur la chaîne de blocs, ces transactions étaient enregistrées sous les adresses des portefeuilles plutôt que sous les noms des particuliers ou des sociétés. Ces transactions anonymes n’auraient pas fourni aux clients des informations pertinentes sur le mouvement de leurs avoirs.
Garde des actifs en monnaie fiduciaire
La gestion des actifs en monnaie fiduciaire était un défi pour Quadriga, d’autant alors que les activités de la plateforme augmentaient. Au début, Quadriga détenait les actifs des clients sur des comptes bancaires, mais, avec le temps, les banques ont commencé à refuser de détenir les fonds liés à Quadriga. M. Cotten est devenu frustré par le secteur bancaire canadien. En septembre 2017, il s’est plaint sur Reddit que les banques canadiennes étaient « incroyablement anti-bitcoin » et il a exprimé un intérêt pour « d’autres options qui impliquent de sortir complètement du système bancaire ». En 2017, Quadriga s’appuyait presque exclusivement sur des processeurs de paiement externes pour stocker les actifs en monnaies fiduciaires de ses clients.
Quadriga dépendait également des processeurs de paiement pour le transfert (entrées et sorties) de la monnaie fiduciaire entre Quadriga et ses clients. Une mosaïque de personnes et d’entreprises, certaines canadiennes, d’autres étrangères, ont traité différents types de transactions, y compris des virements électroniques et des paiements par carte de crédit. Au total, environ 800 millions de dollars sont entrés et sortis des trois plus grands processeurs de paiement, ce qui leur a permis de gagner des millions de dollars en frais de transaction.
Les affaires de Quadriga généraient des millions de dollars en espèces. L’un des principaux clients de Quadriga était une société canadienne de guichets automatiques de Bitcoin. Le président de la société livrait personnellement des valises d’argent à M. Cotten pour alimenter son compte Quadriga, parfois en utilisant des jets privés pour se rencontrer rapidement. À terme, Quadriga a reçu plus de 20 millions de dollars en espèces de cette société de guichets automatiques. M. Cotten savait très bien que cet argent ne serait accepté par aucune banque au Canada étant donné son origine. Il a utilisé de l’argent liquide pour financer les demandes de retrait des clients en envoyant des enveloppes d’argent liquide dans tout le pays. Les données de la plateforme indiquent que 14 millions de dollars de retraits de clients ont été versés par livraison d’argent liquide.
Les affaires de Quadriga généraient des millions de dollars en espèces.
Les clients n’ont pas reçu d’informations pertinentes sur les pratiques de Quadriga concernant la garde et le traitement des actifs en monnaie fiduciaire. Ils ont obtenu des renseignements sur la manière dont leurs propres montants en espèces étaient transférés entre eux-mêmes et Quadriga, car ils suivaient les étapes pour alimenter leurs propres comptes et connaissaient les méthodes par lesquelles leurs propres retraits étaient payés. Ils n’avaient toutefois pas de visibilité sur la manière dont la société gérait les actifs en monnaie fiduciaire.
Le graphique suivant indique les endroits où Quadriga et M. Cotten détenaient des actifs en monnaie fiduciaire et en cryptomonnaie entre .
Note de bas de page 3
Bien que les preuves montrent que de nombreux dépôts et retraits d’espèces ont été traités directement par Quadriga plutôt que d’avoir été acheminés par des processeurs de paiement, nous n’avons pas été en mesure de déterminer avec précision quand ces dépôts d’espèces ont été reçus et les retraits payés. Par conséquent, ces montants en espèces sont exclus du graphique 1 – Localisation des actifs contrôlés par Quadriga et M. Cotten.
Localisation des actifs de Quadriga 1er mai 2017 – 5 février 2019
- QCX – Portefeuille chaud
- QCX – Portefeuille froid
- Autres plateformes de négociation
- Fonds détenus par des processeurs de paiement
- Fonds gelés par la banque
Actifs non séparés
Notre examen a confirmé que, à partir de 2015 au moins, Quadriga n’avait pas séparé ses propres actifs de ceux de ses clients. Au lieu de séparer les actifs des clients de ses propres fonds d’exploitation, Quadriga a mis en commun tous les fonds et utilisé les actifs de ses clients à ses propres fins. Par exemple, Quadriga et M. Cotten ont utilisé les fonds des clients pour payer leurs frais d’exploitation, notamment les honoraires des sous-traitants, les frais d’infrastructure informatique et les frais de traitement des paiements. Les actifs des clients ont également été utilisés par M. Cotten pour couvrir les pertes de négociation qu’il a générées sur la plateforme et pour effectuer des opérations spéculatives sur d’autres plateformes.
De même, il y avait un manque de séparation entre les actifs de Quadriga, les actifs de ses clients, et les actifs de M. Cotten. Comme nous le verrons plus en détail plus loin dans le présent rapport, M. Cotten a utilisé des fonds provenant de Quadriga pour financer son mode de vie sans aucune justification apparente.
Les clients n’ont pas été informés que leurs actifs servaient à payer les opérations de la plateforme ou étaient acheminés vers M. Cotten pour être dépensés, négociés et utilisés comme il le souhaitait.
Livres et registres
Lors de notre examen, nous avons constaté que Quadriga ne tenait pas de livres ni de registres adéquats concernant ses opérations. La plateforme de négociation elle-même suivait certaines informations, notamment les dépôts aux comptes des clients, les transactions de vente et d’achat, les retraits et les soldes. En ce sens, la plateforme a suivi les montants dus par Quadriga à ses clients. Toutefois, les éléments de preuve que nous avons examinés indiquent que, à partir de 2016, Quadriga ne tenait plus de grand livre comptable ni d’autres documents comptables relatifs à sa situation financière ou aux actifs que la société contrôlait. Nous n’avons trouvé aucun élément prouvant que Quadriga suivait adéquatement les soldes de trésorerie réels de la société ou les stocks d’actifs en cryptomonnaie.
L’incapacité de Quadriga à tenir des livres et des registres adéquats a occulté la détérioration de sa situation financière et a permis à M. Cotten de dépenser et d’échanger secrètement les actifs des clients, comme nous le verrons plus loin.
L’incapacité de Quadriga à tenir des livres et des registres adéquats a occulté la détérioration de sa situation financière et a permis à M. Cotten de dépenser et d’échanger secrètement les actifs des clients.
M. Cotten effectue des transactions en utilisant des comptes ouverts sous des pseudonymes avec de la fausse monnaie et des actifs en cryptomonnaie
Plus de 97 % des actifs négociés de cette manière l’ont été par le biais d’un compte au nom de « Chris Markay ».
Dès la création de Quadriga en décembre 2013, M. Cotten négociait avec les clients en utilisant de nombreux comptes qu’il avait ouverts sous des pseudonymes, et qu’il a crédités de faux actifs. Plus de 97 % des actifs négociés de cette manière l’ont été par le biais d’un compte au nom de « Chris Markay ». Parmi les autres comptes ouverts sous des pseudonymes par M. Cotten figuraient « Sceptre Gerry », « Aretwo Deetwo » et « Seethree Peaohhh ». M. Cotten créditait ces comptes avec de faux actifs en cryptomonnaie et de fausses monnaies fiduciaires par des ajustements manuels aux registres internes de la plateforme Quadriga. Ces ajustements ont été dépeints de différentes façons dans les registres de la plateforme comme « ajustement administratif », « paiement en personne » et « virement bancaire ». Quelles que soient leurs étiquettes, ces crédits n’étaient pas soutenus par de véritables actifs en monnaie fiduciaire ou en cryptomonnaie appartenant à M. Cotten ou à Quadriga. C’est pourquoi nous appelons ces crédits des « faux » actifs.
En d’autres termes, M. Cotten pouvait faire apparaître, en quelques frappes, n’importe quel montant de fausse monnaie ou d’actifs en cryptomonnaie sur ses comptes ouverts sous un pseudonyme, et il le faisait régulièrement. Par exemple, en 2017 et début 2018, il a crédité le compte de Chris Markay avec des dépôts uniques de 100 millions et 50 millions de dollars – des faux fonds qu’il a ensuite utilisés pour négocier avec des clients sur la plateforme Quadriga.
En fait, M. Cotten bénéficiait ainsi d’une facilité de crédit illimitée.
En fait, M. Cotten bénéficiait ainsi d’une facilité de crédit illimitée : il pouvait négocier autant qu’il le souhaitait, sans qu’aucun de ses propres actifs ou de ceux de Quadriga ne soutienne ses transactions. Les clients de Quadriga étaient ses créanciers sans le savoir. Ils supportaient les risques et, en fin de compte, les conséquences des pertes de négociation de M. Cotten. M. Cotten a accumulé d’importantes pertes de négociation – plus de 115 millions de dollars sur la durée de vie de la plateforme –, mais nous n’avons vu aucune indication que M. Cotten avait ajouté des fonds, qui n’étaient pas des fonds de clients, sur la plateforme pour couvrir ses pertes. Il a plutôt utilisé les actifs d’autres clients de la plateforme pour payer les clients avec lesquels il avait négocié, créant ainsi un déficit entre le montant total dû aux clients et le bassin d’actifs sous-jacents détenus par Quadriga. M. Cotten n’était pas autorisé à utiliser les actifs des clients pour couvrir ses propres pertes de négociation et cette pratique n’a pas été révélée aux clients. En effet, il exploitait Quadriga comme un stratagème de Ponzi, en ce sens qu’une partie des retraits des clients était financée par les dépôts d’autres clients. Selon notre évaluation, M. Cotten a commis une fraude envers les clients en agissant ainsi.
Il exploitait Quadriga comme un stratagème de Ponzi.
Visionner la vidéo:
Comment les transactions de M. Cotten avec de faux actifs ont-elles entraîné une perte de 115 millions de dollars pour les clients de Quadriga?
De manière générale, M. Cotten s’est engagé dans deux types de transactions. Dans un cas, M. Cotten utilisait de faux dollars canadiens pour acheter de vrais actifs en cryptomonnaie. Dans le second cas, M. Cotten vendait de faux actifs en cryptomonnaie en échange de vrais dollars canadiens.
La vidéo est disponible en anglais seulement. La version française des exemples utilisés est disponible en annexe du rapport.
Lorsque M. Cotten utilisait de faux dollars canadiens pour acheter de vrais actifs en cryptomonnaie tels que des bitcoins, si le prix des actifs en cryptomonnaie augmentait, le compte de Chris Markay générait des profits. Toutefois, si le prix baissait, le compte subissait des pertes. (En substance, cela revenait à prendre une position en compte – margined long position – sur l’actif en cryptomonnaie). En effet, le client qui a vendu à M. Cotten de vrais bitcoins en échange de faux dollars avait le droit de retirer de vrais dollars canadiens, même si aucun n’était impliqué dans la transaction. Si le cours du Bitcoin augmentait, M. Cotten pouvait vendre ces bitcoins pour un montant supérieur à leur prix d’achat, ce qui lui laissait suffisamment de dollars canadiens réels pour couvrir le retrait du client, en plus d’un profit. En revanche, si le cours du Bitcoin chutait, M. Cotten subissait une perte car il n’était pas en mesure de couvrir le montant du retrait en vendant simplement les bitcoins qu’il avait achetés au client. Il prenait alors des actifs supplémentaires du bassin d’actifs de Quadriga (c’est-à-dire, les actifs des clients) pour couvrir le retrait du client. La plateforme était donc à court de tout montant qu’il prenait du bassin d’actifs de Quadriga en plus du montant qu’il pouvait obtenir en vendant les bitcoins. Au fil du temps, comme nous le verrons plus loin dans ce rapport, il a fait la même chose à maintes reprises jusqu’à ce que le bassin d’actifs de Quadriga soit presque entièrement épuisé.
Dans le deuxième type de transaction, M. Cotten a vendu de faux actifs en cryptomonnaie en échange de vrais dollars canadiens. Ce type de transaction comportait le risque inverse : si le prix de l’actif en cryptomonnaie baissait, le compte de Chris Markay générait des profits, mais, s’il augmentait, le compte subissait des pertes. (En substance, cela revenait à prendre une position à découvert sans livraison – naked short position – sur les actifs en cryptomonnaie). Par exemple, lorsque M. Cotten échangeait un faux bitcoin contre de vrais dollars canadiens, le client qui lui avait acheté le bitcoin était en droit de retirer un vrai bitcoin, même si aucun n’était impliqué dans la transaction. Si le cours du Bitcoin chutait, M. Cotten pouvait utiliser les dollars canadiens pour acheter un bitcoin afin de satisfaire le retrait de ce client et il lui restait encore quelques fonds (un profit). En revanche, si le cours du Bitcoin augmentait, M. Cotten subissait une perte, car il n’était pas en mesure de couvrir le retrait du client en utilisant seulement les fonds initialement reçus pour acheter le bitcoin nécessaire pour compléter le retrait du client. Il prenait des fonds supplémentaires du bassin d’actifs de Quadriga (c’est-à-dire, les actifs des clients) pour couvrir le retrait du client. La plateforme était alors à découvert du montant du bassin d’actifs de Quadriga pris en surplus du montant d’argent impliqué dans la transaction initiale.
Que M. Cotten ait cherché à faire des profits, générer des volumes, renforcer la liquidité de la plateforme ou qu’il ait eu un autre objectif, ses transactions ont eu un effet catastrophique sur les finances de Quadriga et ont finalement fait s’écrouler toute la plateforme, comme nous le verrons plus en détail plus loin dans le présent rapport.
Ses transactions ont eu un effet catastrophique sur les finances de Quadriga.
Incidences des transactions de M. Cotten sur le volume des transactions de Quadriga
Quadriga a vanté son volume de transactions élevé sur son site Web, déclarant : « En ce qui concerne le volume, QuadrigaCX est la plateforme de bitcoins qui connaît la plus forte croissance au Canada. […] L’augmentation rapide de notre volume permet d’acheter ou de vendre facilement des bitcoins au meilleur taux ». Ses modalités de service promettaient que Quadriga « s’efforcerait de faire en sorte que son marché soit à la fois équitable et libre ». M. Cotten lui-même s’est vanté que Quadriga était « un vrai marché avec des ordres et des transactions réels, et non un marché artificiel conçu pour paraître attrayant ». Il opposait son approche à celle d’une autre plateforme qui, selon lui, « simulait son volume d’une manière très flagrante ». En 2018, M. Cotten a affirmé que ni Quadriga ni aucune filiale de Quadriga n’était une contrepartie de quelconque transaction sur la plateforme.
M. Cotten a effectué plus de 250 000 transactions entre 2015 et 2018.
Notre examen a révélé que ces déclarations étaient fausses et trompeuses. M. Cotten a réalisé un volume de transactions important sur ses comptes créés sous des pseudonymes. Grâce au seul compte de Chris Markay, M. Cotten a effectué plus de 250 000 transactions entre 2015 et 2018. Alors que Quadriga se vantait de sa domination dans l’espace canadien des cryptomonnaies, en réalité, M. Cotten était partie prenante d’au moins 87 % de toutes les transactions de bitcoins réglées en dollars canadiens sur la plateforme au cours de sa première année complète (calculée en valeur) et à 35 % sur la durée de vie de la plateforme. M. Cotten négociait avec lui-même par le biais de ses divers comptes créés sous des pseudonymes.
À mesure que la négociation de cryptoactifs gagnait en popularité et que le volume de transactions effectuées par des clients sur la plateforme augmentait, le volume des transactions sur les comptes créés sous des pseudonymes par M. Cotten s’est également accru. Par exemple, en 2016, le volume total des transactions de bitcoin réglées en dollars canadiens sur la plateforme Quadriga était d’environ 72 millions de dollars, dont 24 millions de dollars étaient attribués aux comptes de M. Cotten. En 2017, le volume des transactions de bitcoin réglées en dollars canadiens était environ 16 fois plus élevé que l’année précédente, à environ 1,2 milliard de dollars, dont environ 30 % provenaient des comptes de M. Cotten. En 2018, les échanges de M. Cotten représentaient près de 40 % du volume total des transactions de vente et d’achat.
Les clients de Quadriga n’ont pas été informés que M. Cotten effectuait des transactions sur la plateforme en général et ils ne l’étaient pas non plus lorsque M. Cotten était la contrepartie de leurs transactions.
Le volume de transactions déclaré par Quadriga était un indicateur important de sa sécurité pour certains clients.
Le volume de transactions déclaré par Quadriga était un indicateur important de sa sécurité pour certains clients. À titre d’exemple, un client a déclaré que le facteur le plus important dans sa décision d’utiliser une plateforme de négociation plutôt qu’une autre était son volume : « Je vais d’abord me pencher sur [...] le volume des transactions. [...] Plus il y a de volume sur la plateforme, plus elle est généralement sécuritaire, car cela signifie que beaucoup de personnes y font des transactions ».
Le graphique suivant compare la proportion globale des transactions (axe de gauche) auxquelles M. Cotten a participé, au volume des transactions de client à client au cours du même mois, de 2013 à 2019. Par exemple, en décembre 2013, M. Cotten était impliqué dans presque toutes les transactions de la plateforme. Le volume total sur la plateforme est indiqué sur le graphique linéaire et l’axe de droite pour la même période.
Volume des transactions Cotten c. des clients (de 2013 à 2019) (Échanges BTC/CAD)
- Volume des clients en %
- Volume de Cotten en %
- Volume total en CAD